Ernie Hammes en concert avec Claudio Roditi

C'est dans le cadre du festival «Autumn Leaves» qui se déroule à l'Abbaye de Neumunster que dimanche dernier fut donnée carte blanche au trompettiste luxembourgeois Ernie Hammes. Il ne lui en fallait pas plus pour réunir autour de lui une belle brochette de musiciens tous aguerris à l'art délicat de l'improvisation et de l'accompagnement, le but étant bien sûr de faire entendre ses propres compositions mais aussi de donner la réplique au fameux trompettiste brésilien Claudio Roditi.

Pour l'encadrer il y avait notamment Jean Louis Rassinfosse, figure emblématique de la contrebasse et de l'enseignement du jazz, avec qui il a de nombreuses années d'étroite collaboration en trio. Les touches du piano ont été confiées à Pierre Alain Goualch, talent plusieurs fois remarqué par de grands noms de l'instrument comme Martial Solal, qui en 1996 avait déjà fait partie d'un septet aux côtés des trompettistes évoqués plus haut. Aux balais ou aux baguettes c'est l'incontournable Paul Wiltgen, tandis qu'à la guitare officie le grand Johannes Muller et qu'anche au bec nous trouvons Johannes Muller.

Rythmes brésiliens et post-bop
«Never come back to Sorento» laisse le thème s'exposer puis fait place à un beau solo de sax ténor; sur «Miss the C train» c'est à la guitare de prendre la parole, tout en finesse, la trompette passant là en sourdine pour mieux s'effacer et laisser apparaître, comme venu de loin, un solo de batterie. Suit «Stepwise», morceau très rapide – les amateurs diront «up tempo», phrases longues et bien articulées au sax et au bugle pour plus de douceur, et soutenues de main de maître par une contrebasse dont la rapidité de jeu est inversement proportionnelle à la taille. Ces morceaux tous composés par Ernie sont issus de ses albums «Live at Inouï» et «Stepwise»; on peut y entendre Lew Soloff, Bob Mintzer, Phil Abraham et Franck Agulhon.

«Ibrahim» est une belle composition de W. Muthspiel, conduite dès le début par l'intéressé dans une longue introduction avec des effets d'écho, puis sax et bugle anticipent un chorus de piano laissant entendre des graves chaleureux, enfin un solo de saxophone rappelant les accents de Bob Mintzer sur certaines pièces de Yellowjackets, le tout soutenu par un rimshot impeccable.

Et c'est enfin Noël puisque «Christmas in Rio» laisse entrer le Claudio Roditi. Pas encore «chaud», il choisit pourtant cette pièce pour se lancer dans un duo délicat avec Ernie Hammes dans lequel ils vont tour à tour se partager le chant et le contrechant. Un vrai régal, un cadeau avant l'heure! La pièce se termine sur une plage enneigée, par des bruitages aux trompettes, pistons à demi enfoncés rappelant les sifflets au loin des sambas de Rio. Une belle dédicace que ce grand trompettiste offrit à sa maman, les musiciens de jazz aussi ont un coeur ...

Un standard pour se remettre de ces émotions, rien de tel que «Body and Soul» sans batterie ni sax, mais avec un Roditi qui nous permet d'apprécier à sa juste mesure sa projection et sa qualité de son si caractéristique, dans un grand jeu ou le dialogue et l'échange sont permanents au gré des modulations. Petit retour aux sources quand arrive «Piccolo Blues» avec une batterie soft, traitée avec amour – aux balais! – et scandé avec puissance et aigu à la trompette piccolo, détournée des concertos classiques et dont l'usage justement n'est pas justifié si ce n'est par le caprice ou le goût du chalenge du maestro. Quelques rappels humoristiques à la contrebasse égaient l'assemblée déjà conquise.

Un Brésilien sans sa bossa est-ce envisageable? Il faut croire que non, et pour notre plaisir nous aurons droit alors à «Bossa pra Donato» en hommage à un fameux pianiste de bossa nova, Joe Donato. Les attaques de la trompette sont alors incisives, percutantes, et les courbes décrites par les vagues de notes restent cependant d'un grand lyrisme, la vitalité de la pulsation est transmise par les trompettistes, artificiers pour l'occasion, sachant allumer des feux d'artifices royaux que même Haendel n'aurait pas reniés. Une petite et légère ritournelle en guise de rappel permet à chacun de faire valoir ses droits à un chorus; quoi de plus naturel que «A night in Tunisia» pour nous réchauffer en cette froide après-midi.
(par daniel bur - photo:CCRN)