«Lupenrein» de Rafael Kohn, mis en scène par Hans Joachim Frank

Dans une mise en scène de Hans Joachim Frank, «Lupenrein» est une coproduction du Théâtre national du Luxembourg et du Theater 89 de Berlin, dont la première s’est déroulée le 2 février au TNL. L’auteur de ce drame humain et existentiel bouleversant, Rafael Kohn – né à Esch-sur-Alzette en 1980, qui étudia les arts de la mise en scène à l’Universität der Künste de Berlin – plonge le spectateur dans un univers moite et délétère, celui de la guerre civile qui frappa la Sierra Leone.

Cet état de l'Afrique de l’Ouest – un des plus pauvres au monde, fut, dans les années 90, le théâtre d’une guerre civile jalonnée de sanglants affrontements, qui avaient pour but le contrôle des zones diamantifères. Objets de toutes les convoitises, les diamants et leur commerce servaient à financer cette guerre civile violente et irrationnelle qui frappa le pays jusqu’en 2002.

À l’instar du chœur dans la tragédie antique, une voix off commente l’action, comme le ferait un narrateur omniscient, en accompagnant les différentes scènes d’explications, de traductions destinées à éclairer le public, quelque peu suffoqué par la tragédie d’une mécanique absurde – celle des horreurs de la guerre, et d’un humanisme récusé.

Marianne et Thomas Hübner, un couple de médecins allemands quelque peu idéalistes, convaincu par l’aide humanitaire et décidé à s’installer en Sierra Leone, pour travailler dans un hôpital militaire, Klaus Güntzel – leur ami qui est déjà sur place, un personnage cynique et désabusé, George et Lody de Jaeger – sorte de mercenaires froids et lucides, Elisa, qui deviendra l’amie et la complice de Marianne, ainsi qu’un enfant soldat, sont les acteurs et les témoins tour à tour enthousiastes et désenchantés de la folie meurtrière des hommes, de leurs exactions les plus basses comme le viol et les mutilations physiques, en proie à une lutte sans merci pour le pouvoir et la domination.

Une pièce et cathartique

Drame intérieur, existentiel autant qu’humain, les scènes s’enchaînent à un rythme soutenu, une musique renforçant l’impression angoissante d’une mécanique implacable et féroce qui, sur le chemin du doute et de l’absurdité, détruit les êtres et leurs bonnes intentions. Comme le docteur Rieux de Camus, Thomas Hübner est confronté aux difficultés d’exercer son métier de médecin dans de pareilles conditions.

Semblables à la fosse du Voreux chez Zola, les mines de diamants dévorent les hommes et les aveuglent: la pureté des intentions et l’exemplarité recherchée par les Hübner le cèdent à la pureté du diamant («lupenrein»)! Ces pierres précieuses, symboles de l’amour éternel et de la perfection, se transforment en diamants de sang.

À la fois tragique et cathartique, «Lupenrein» est donc un drame suscitant crainte, révolte et pitié, autant qu’une autopsie pénétrante de la fragilité humaine, que l’auteur met en scène d’un point de vue résolument humaniste.

par Franck COLOTTE