«L'Oral et Hardi» de Jean-Pierre Verheggen au Théâtre des Capucins

Au Théâtre des Capucins, un comédien, Jacques Bonnaffé, a donné vie scénique aux textes d'un poète décalé, Jean-Pierre Verheggen: concaténations fulgurantes, collisions et successions improbables de mots et d'expressions, de gestes et d'attitudes, jusqu'au vertige.

Mis à l'honneur donc, sur le pavois d'un plateau de théâtre, les textes, poèmes et délires, de Jean-Pierre Verheggen. Celui-ci est Belge et Wallon, deux précisions importantes quand il s'agit d'écriture et de littérature. Ces Belges-là ont un rapport particulier avec une langue que la France souveraine donne toujours l'impression de leur concéder: ils en sont devenus les maîtres-grammairiens; en toute spontanéité enfantine ou insolente, ils en jouent, ils s'en amusent, ils la tripotent, ils l'expérimentent, ils la bousculent, ils la caressent, ils l'exaltent. Ces Wallons-là ont des racines, un rapport charnel immédiat, désintellectualisé, avec la réalité. Leurs mots sont crus, ils ne s'enfuient pas à dos de périphrases! Verheggen appartient à la branche linguistique de la famille des entarteurs. Il est édité chez Gallimard ! Quelques-uns de ses titres, à défaut de citer ses textes, sont, comme on dit aujourd'hui, de beaux indicateurs de tendance: «Degré Zorro de l'écriture», «Ridiculum Vitae et Artaud Rimbur», «Sodome et Grammaire», «On n'est pas sérieux quand on a 117 ans».

Ces mots-là, Jacques Bonnaffé, un comédien, s'en est emparé. Et lui, le voisin de Verheggen - c'est un homme de ce Nord de la France qui a tant d'accointances avec une certaine belgitude – en propose une équivalence scénique. Il multiplie les intonations, surprend par ses variations de débit, époustoufle par ses fluctuations rythmiques. Il épastrouille (acceptez ce beau mot plutôt belge) par cette mémoire infaillible qui lui permet de ne pas s'emmêler les neurones dans la restitution de textes dépourvus de tout garde-fou mnémotechnique. Et son corps de comédien devient mots de Verheggen. Quelle maîtrise dans ces concaténations-là qui font se succéder mouvement de hanche, geste ample, ratatinement, galopade, effondrement.

Le spectateur rit des jeux de mots, dont certains viennent de vraiment très loin ; bée la bouche (construction rare et peu attestée, mais qui dit bien ce qu'elle a à dire) au spectacle des gymnastiques corporelle et verbale ; ne comprend plus rien ou tout à coup reconnaît l'écrivain ou le texte évoqués et détournés ; se laisse emporter dans ce fleuve-là en crue. Et ce qu'il emporte, lui, du spectacle, c'est un paquet-cadeau littéraire dans lequel Bibi Fricotin donnerait la main à Arthur Rimbaud, dans lequel l'indicateur des codes postaux serait le tome II des œuvres de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), une poétesse aujourd'hui bien oubliée, et présente dans le spectacle parce que, comme Jacques Bonnaffé, elle est née à Douai. Il emporte aussi un désir de reconsidérer sa langue française, d'en oublier un instant le caractère utilitaire et d'en faire une camarade de jeu!

par Stéphane Gilbart - Photo: X. Lambours