Le chat comme allégorie, la gravure comme alchimie

Catherine Noyer, journaliste et artiste, est animée par la fascination pour les chats et la passion de la gravure. De la coalition de cette passion et de son savoir-faire est né un bestiaire finement ciselé, qui à l'enseigne «Cats II» est actuellement exposé à la galerie Artium.

Animal joueur, félin cabotin, le chat semble en représentation permanente, à décliner sans cesse l'ample éventail de ses physionomies, de ses mouvements, contorsions, acrobaties et autres figures de style. De cette plasticité, de cette inventivité naît pour partie la fascination que cet animal exerce – fascination quasi universelle, qui au vernissage de l'exposition «Cats II» aura attiré à la fois des amateurs d'art avertis, des cattophiles (du latin «cattus») et un musicien en la personne de Jimmy Martin, star nationale du rock et «Katzenfan» émerveillé.

Signalons ici que Catherine Noyer se voue à une troisième passion: la plongée sous-marine. Pour dire que dans les profondeurs où elle évolue à travers cette pratique-là elle n'a que dédain pour l'écume des séductions faciles. Son art, qui au premier abord peut sembler austère, est un art exigeant, qui s'exerce dans la patience, dans le souffle long, dans la précision du geste et l'économie des moyens. Le regard qu'on y porte demande de même à s'affûter lentement, pour donner libre cours à une observation qui bientôt sera contemplation.

Ressort premier de ce geste artistique: le goût du travail manuel. Il y a de la cérébralité certes dans les épures de ses félins, mais c'est un travail du corps d'abord qui préside à leur mise en oeuvre. Aussi l'artiste a-t-elle pris soin de se munir, à la galerie où elle expose, du support essentiel de son art(isanat), à savoir la plaque de cuivre dont elle explique l'usage et la subtile alchimie – recouverte d'un vernis à graver, la plaque accueille le dessin de l'artiste à la pointe de métal; la plaque est ensuite placée dans un bain d'acide qui «mord» les zones à découvert et laisse intactes les parties protégées. Après nettoyage du vernis, la plaque est encrée et mise sous presse.

Physionomie et psychologie

L'inclination à l'essentiel, l'économie des moyens et le refus de l'effet, dans les travaux que cette presse finit par livrer, sont attestés par l'absence de mise en scène: les chats sont donnés à voir tels qu'en eux-mêmes, dans leur hautaine autonomie, et leur vérité est d'autant plus saisissante qu'ils sont restitués sans décorum. Tout adjuvant d'ailleurs serait superflu, tant ces chats-là captivent le regard par la seule grâce de leurs mouvements, par la seule diversité de leurs poses. Les félins se cabrent, s'élancent et bondissent, semblent suspendus en plein vol puis retombent sur leurs pattes, pour s'adonner à l'exploration hallucinée d'un nouvel obstacle à déjouer ou d'une nouvelle proie à capturer. Cette observation quasi photographique des mouvements et des morphologies débouche sur une forme de psychologie: les chats gravés de Catherine Noyer sont livrés avec leurs fantasmagories, dans leur superbe indépendance, dans le paradoxe de leur pénétrante observation de l'environnement et de l'indifférence à tout ce qui n'entre pas dans l'orbe de leurs jeux.

Un second paradoxe achève de retenir notre attention: alors que le bestiaire de Catherine Noyer brille par la richesse des mouvements étudiés, un hiératisme subtil vient le figer dans une espèce d'éternité, comme si le temps suspendait son cours au moment même où le chat s'envole. D'où, sans doute, la puissance allégorique des chats chers à l'artiste, qui à l'instar des félins de l'art antique égyptien semblent en définitive nous parler de nous-mêmes, des énigmes et des sortilèges qui nous hantent. (Photos: Gerry Huberty)

par Gaston Carré